1er mai. Fête du Travail, dit-on. Mais fêtons-nous encore quelque chose ? Autour de moi, je vois surtout la fatigue. L’usure. L’absurde. Le cynisme parfois.
Alors on célèbre quoi, au juste ?
Il faisait un temps estival dans le Gard. Moins chaud qu'à Paris, mais avec un TShirt (qui vient, symbole ?) d'un séminaire à mon travail, j’ai mis les mains dans la terre. Avec Falconette, nous avons arraché les herbes hautes qui ont grandi avec les pluies de ce début de printemps.
J'ai tondu, taillé. J’ai pris des couleurs. Rouge, comme les drapeaux dans les cortèges, comme un soleil méditerranéen que chantait Sardou. Vert, comme mon jardin, et — toujours — la Palestine, omniprésente, instrumentalisée.
Falcon2 (il faudra que je lui demande son pseudo) m’a demandé pourquoi on ne travaillait pas aujourd’hui. J’ai souri, sans vraiment savoir quoi répondre. Comment lui expliquer que ce jour-là, on célèbre — ou on devrait célébrer — ceux qui travaillent trop, mal, dans la peur, dans l’angoisse, dans le vacarme des injonctions absurdes ? Dans une absence de sens.
J'ai pensé à ma courte semaine de travail. Une chef, pour exister, m’a envoyé un mail désagréable hier à 17h. Nous avions pourtant bien avancé avec les achats sur une négo importante. Elle a recopié l’évidence, comme un ordre. Je lui ai répondu que je la remerciais de valider notre stratégie. Du cynisme ? Un peu. Mais aussi de la lassitude.
La souffrance au travail j'en ai souvent parlé. Cette année, prendre des jours de congés était un luxe. Ma chef ayant ce truc en tête, les congés... Finalement, je ne poserai que deux jours sur le compte épargne temps. Mon ami de promo qui est mort, il en est ravi de ses jours de CET...
Je suis quand même allé me renseigner sur le 1er Mai.
"Le 1er mai trouve son origine dans le mouvement ouvrier américain. En 1886, à Chicago, des grèves éclatent pour obtenir la journée de travail de 8 heures. Le 1er mai devient un jour de mobilisation. Trois jours plus tard, la répression sanglante d'une manifestation à Haymarket Square marque l’histoire. En hommage aux "martyrs de Chicago", la date est reprise en 1889 par la IIe Internationale comme journée de lutte. En France, ce n’est qu’en 1947 que le 1er mai devient un jour férié et payé."
Le politisé syndiqué (récent ancien délégué syndical) que je suis ne savait pas.
Ce 1er mai, je ne l’ai pas passé dans un cortège. La rue n'a jamais été mon truc. Après le 21 avril 2002, je souriais devant la rue, avec pensée pour Taubira (une icone...). J’ai juste voté Chirac à 17h40, après avoir réflechi. J’ai toujours préféré les actes discrets aux cris collectifs.
Je pense à ceux qui croient que l'on peut changer le monde avec des slogans bien sentis. Que l'on peut faire plier des gouvernements ou des directions d'entreprise avec un mégaphone. Moi, je regarde mon jardin. Et c'est très bien. Et je travaille. Sérieux, moins slogans, plus dans les bureaux. Les résultats sont meilleurs, même si ça sent moins la merguez.
Ma lutte aujourd'hui, c'est cette souffrance au travail qui est partout. Les chiffres sont là, brutaux. Burn-out, démissions silencieuses, fatigue morale, augmentation des prescriptions de prozac ou Lysanxia. Des gens qui tiennent parce qu’ils n’ont pas le choix. Qui tombent parce qu’on les a laissés seuls. Alors que reste-t-il de la "fête" du travail ? Un goût de cendres et un brin de cynisme. On célèbre le travail en jour férié, pendant que d'autres, invisibles, continuent de bosser. Dans de sales conditions.
Je parle souvent du mal être au travail. J'ai donné au directeur de mon site le théorème du Faucon. Nous avons, comme sur pleins d'entreprises, une accidentologie qui a fortement augmentée en 2024, sans explication. Je lui ai montré le chiffre "trouble émotionnel", qui représente plus du tiers des accidents du travail.
Je suis parti de mon département de 40 personnes. A l'époque, quatres personnes en arrêt. Une officiellement en Accident du travail (AT), une rien à voir avec le travail, les deux autres pour épuisement professionnel. Mais sans déclaration AT. Déjà, on passe de 1 à 3. Et je lui ai dit : "rajoutez ceux qui boivent ou prennent des cachets pour tenir. Mon cas par exemple. Je suis suivi par une psy et mon médecin m'a mis un traitement de fond, et si besoin je sais que j'ai dans mon tiroir des trucs à mettre sous la langue. J'en connais deux qui sont dans mon cas. On passe de 1 à 6 qui sont en souffrance. Et je ne connais pas tout le monde".
Donc le théorème du Faucon est
Pour 1 accident du travail dû à un trouble émotionnel, il y a 6 personnes en souffrance qu’on ne voit pas.
L'iceberg.
Je ne suis pas convaincu que la CGT de la SNCF qui va bloquer les trains le pont prochain ou que ceux qui défilent avec les drapeaux rouges ou verts aient vraiment cet aspect là en tête.
Pourtant le travail est noble. Mais "valeur travail ?". Non, j'ai donné. Je travaille pour vivre, je ne vis pas pour travailler.
Aujourd'hui, j’avais juste besoin d’une pause. D’un silence. D’un moment marron, comme dirait le PCM. Un moment pour souffler. Pour me recentrer sur l’essentiel. Mon jardin. Mes enfants. Moi. Et ce soir on reçoit une amie de promo. C'est bien.
Je n’ai pas manifesté. Je n’ai pas crié. Mais j’ai planté, arraché, tondu. Et j’ai pensé, sincèrement, à ceux qui souffrent en silence. À ceux qui n’ont plus l’énergie de crier. Ce billet, c’est peut-être ma manière à moi de lever une pancarte.