Quand j’étais enfant, le bac ne représentait que ces vieilles cartes postales jaunies que me montrait ma grand-mère. Pour aller de Montfaucon à Caderousse, il fallait le prendre pour traverser ce Rhône qui voit maintenant trois ponts l’enjamber au niveau de chez moi. Non, à l’époque, ni route départementale, ni autoroute, encore moins TGV ne permettait de franchir le Rhône entre Gard et Vaucluse. Juste le « bac ».
Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai connu la vraie signification de ce mot. « Bac », traversée un peu mythique quand on est enfant. Passage entre quelque chose que l’on imagine et quelque chose que l’on ignore. « Bac », cet objet que Chevènement voulait donner à 80% d’une classe d’age, objectif qui est ancré presque dans nos gènes, depuis notre plus jeune age. Et après ? On ne sait pas ce qu’il y a derrière, « passe ton bac d’abord », la suite on verra plus tard. La suite, on ne la voit pas quand on regarde les photos jaunies de mamy.
Mon bac à moi ne me laisse pas des immenses souvenirs. Je voudrais être capable de l’écrire comme Guy Birenbaum sur son blog (très beau texte), mais il m’en manque le talent. Il m’en manque surtout, à vrai dire, l’émotion et la nostalgie qui ferait de ce souvenir quelque chose de marquant. Bien sur que je m’en souviens. Qui ne se souviendrait pas d’un moment programmé en nous depuis le plus jeune age. Je m’en souviens. Mais je n’en éprouve aucune nostalgie, alors que la nostalgie est ma cosmo énergie à moi…
12 ans déjà que j’ai passé le bac. Chirac venait d’être élu, et une nouvelle municipalité amie venait d’être élu dans mon village. Pour quelques mois, je n’ai pu voté Chirac, je n’ai pu faire parti de l’aventure municipale. Dur d’avoir 17 ans. Mais je passais mon bac. En 1995.
Je n’ai pas grands souvenirs de cette année scolaire au lycée technique des Eyrieux, Bagnols sur Ceze. Sinon l’été avant et ma première histoire amoureuse qui restera plus indélébile dans mon cœur qu’un modeste examen de fin de lycée (là, le ressort nostalgique tourne à fond les ballons).
J’ai fait un bac S, anciennement E avec beaucoup de technologie industrielle. Je n’aimais pas cette matière, pourtant coefficient 9. Plus que de ne pas l’aimer, j’avais un blocage psychologique dessus. Un cauchemar, mon cauchemar. Mais papa disait que c’était le futur et que c’était bon pour moi, et comme j’étais un petit garçon faib…, euh obéissant, j’ai fait. Je le regrette tous les jours, car les mardis étaient pour moi épouvantables en Terminale, mais tant pis.
Je ne garde de cette époque aucun ami. Et d’ailleurs aucun ne me manque vraiment. J’ai des amis de cette époque : mon pote viticulteur, connu en seconde. Mon ami prof de math, une amie qui m’a fait mon CV, une autre infirmière de bloc opératoire. Mais eux, je les connais du collège. Du lycée, de la terminale plus précisément, non, personne. J’en avais un, mais il est mort en 2000 : la route est cruelle de Tresque à Bagnols sur Cèze.
Finalement, la Terminale, ce fut quoi pour moi ? Du boulot, beaucoup, mais pas tant que ça. Des fiches de philosophie et d’histoires, les deux matières au final que j’aurais le plus révisé. Une histoire amoureuse en fin 1994’ qui me marque encore aujourd’hui. Je passe sur les 12 kilos de perdu été 1994’, qui ont fait entrer en Terminale un Faucon enfin présentable, amoureux, et qui n’était pas détesté à cette époque là. Enfin, me reste en mémoire un travail assez long : que faire après la Terminale. Le « choix », dont j’ai souvent parlé. Choix qu’aujourd’hui encore je regrette quelque part. Sciences Politiques, ou alors Ecole d’Ingénieur ? J’ai choisi la deuxième voie, nous y reviendrons plus tard.
10 Juillet 1995. Journée de résultat. Non, je ne suis pas bien finalement. L’été est beau. Mobylette 103 SPX de la photo pour aller voir des amis qu’aujourd’hui je ne vois plus. Et gros stress tout de même. Toutes mes admissions pour l’année prochaine sont suspendues au bac. Et pour certaines, l’ECAM et Science politique sans passer par la case « concours », c’est la qualité de mes résultats du bac qui feront que oui ou non.
Mes parents m’amènent à Bagnols-Sur-Cèze avec mon ami d'enfance. Nous avons été, avec lui, voisin à Montfaucon. Dans la même classe de la maternelle à la Terminale. Et en bons élèves que nous étions, lui et moi trustions les premières places. Nous étions les FC Barcelone et Réal de Madrid locaux, les Nadal et Federer de l’époque. Et le soir même verrait la fin du match.
Je pensais avoir mention « on te le donne parce que c’est toi ». J’avais trouvé l’expression dans la voiture, elle m’avait plu. Finalement, ce sera mention « Bien ». 14,42 de moyenne. C’est joli. Mon copain aura eu 14,64 de moyenne. J’ai perdu le match, ce match. Pas bien grave. Surtout qu’après les esprits populaires se rappellent souvent des Poulidors, et pensent que le vaincu est vainqueur : la classe préparatoire l’année suivante m’aura octroyé, dans l’esprit de nos proches, la victoire par la manière. Amusant…
Le Directeur du lycée parlait avec ma mère en regardant mes résultats. Moi, je regardais ce fameux tableau des admis. Mon ami viticulteur est au rattrapage, merde. Mon meilleur copain de l’époque est aussi rattrapage. Merde bis. Trois jours après, ils se louperont. Je vois des élèves de ma classe, branleur de niveau supérieur, avec des mentions assez bien. Je parlerai un autre jour de l’avis que j’ai sur le niveau du bac…
Et là le Directeur m’appelle. Il est ébahi par mes notes. Ah ? 14,42 c’est pas non plus le Pérou… 16 en physique et math. Bon, j’assure le 1 à 0 et les trois points à domicile comme dirait l’entraîneur de base de Ligue 1. L’an passé, j’eus un double 14 en français. Là, en anglais, je révolutionne rien : un petit 13. Par contre, et c’est là que mes yeux palpitent et mon cœur bat, un 17/20 en philosophie (« la connaissance scientifique peut elle lutter contre les intégrismes ? »), et 18/20 en Histoire - Géographie. J’en ai demandé à recevoir mes copies du bac, je les scannerai un jour (me faire mousser un peu…).
Par contre, le coefficient 9 de la Technologie m’aura été fatal : 9/20. Merci, cette matière que je ne voulais pas faire et qui me faisait frissonner m’aura été fatale au final. Elle m’empêche de battre sur le terrain mon copain d’étude secondaire, mais ce n’est pas grave. Elle me ferme surtout les portes de Science Politique sans concours. Et avec ça m’ouvre mes dix, douze, peut être vingt ou trente prochaines années avec ce regret terrifiant d’avoir accepté de partir dans les « sciences de l’ingénieur ». Je suis ingénieur, c’est vrai, mais je suis convaincu (peut être je me trompe) que j’aurais pu assurer 16 en biologie. Ou au pire 14, ma moyenne. Cela me donnait mention très bien. Donc regrets, beaucoup de regrets.
Le soir, bizarre. La veille, un car d’espagnol a dérapé dans le virage de l’autoroute A9 à Roquemaure (à quelques mètres de là où j’habite aujourd’hui). La pire tuerie de l’histoire de Roquemaure, et mon amie adjointe de ce village ne pourra manger de viande rouge pendant 5 ans, tant les souvenirs de cette chapelle ardente reste vivace.
Et nous, chez mes parents, on reçoit du monde. Mon ami qui est au rattrapage et qui le loupera tranche avec la joie relative. Le Maire de mon village, et mon médecin aussi, est aussi des notre. Tous mes amis sont là, voisins, familles… Mes parents ouvrent le champagne. Tout le monde est heureux. Le suis-je vraiment ? Je pense à elle, celle de la fin de l’année dernière, beaucoup. Je pense au futur. Au fait que la plupart des gens autour de cette table, je ne les reverrais plus. Aujourd’hui, ils n’existent plus pour moi. Je pense au futur. Et je garde du regret quand même, beaucoup.
Après, l’histoire continue en accéléré pour moi. Le vendredi, première sortie en boite de ma vie : le Graffiti de Rochefort du Gard. Je m’y emmerde copieusement, je n’aimerais jamais les boites. Puis je jette l’éponge de Science Politique. Soyons lâche jusqu’au bout, le concours m’a fait aussi peur que la visite d’Aix en Provence. Ce sera l’ECAM, cinq ans qui resteront des bons souvenirs avec des moments de larmes, de francs découragements, de regrets, quelques espoirs aussi. Puis après Marseille, des bacs vécus par procuration. Celui de mes amis qui ont loupé celui que j’ai réussi. Mon amie dont j’aurais suivi en 2002 le bac par téléphone, et qui m’aura appris sa mention alors que je jouais à Onimusha sur PS2. Un des derniers coups de fil eut avec elle. Plus tard, l’échec du fils d’une amie locales. La franche réussite de la fille la plus brillante que j’aurais rencontré, avec sa mention très bien y a deux ans. Et y a quelques minutes, un mail d’une copine de Roquemaure, qui l’a eu elle aussi. Mon amie partie cette année aux USA vivra ce moment l’an prochain. Jusqu’à la rencontre de celle avec qui je vis à Roquemaure, avec un métier dont je suis content.
Je n’aurais pas fait Sciences Politiques. Des regrets pleins. Sciences Politiques, j’aurais touché plus franchement ce milieu que je n’ai fait qu’effleurer. Je serai peut être député à 29 ans, ou dans les pattes d’une sommitée. Etait ce vraiment ça dont je révais, que je voulais. A l'époque oui. Maintenant, un peu moins. Et puis je n’aurais pas rencontré celle avec qui je vis, les amis que j’ai. J’aurais connu le monde de Saint Seiya sans doute, et encore…
Finalement, des regrets. Mais une vie qui ne me déplait pas au final, ce qui est le plus important…
Le 10 Juillet 1995’ aura été pour moi une date. Une parmi tant d’autres. Les 12 Juillet 3 ans plus tard (et 7 ans plus tard) auront une saveur plus tenace, et laissent des souvenirs, bons ou pas, plus vivaces en ce 4 Juillet 2007’. Même si, quand même, c’est agréable d’y être devant le tableau. Parce que aussi on a 17 ou 18 ans. Après, on les a plus. Et c’est peut être ça le plus dommage… C’est peut être ça.
pour le premier mon souvenir le plus net c'est que de la bande j'étais l'une des deux seules admissibles (de mon temps on passait un écrit qui donnait droit à l'oral - ce n'était pas un rattrapage mais au contraire le second échelon de l'examen) et que le lendemain de l'oral les recalés se fichaient de moi en m'entendant dire sur le port d'Hyères 'oh hier à Marseille il a pleuvu, c'était dingue". Je m'en moquais, pleuvu ou plu, j'étais reçue. Mais quand vous vieillierez mon enfant vous verrez, c'est presque plus stressant d'attendre les résultats des générations suivantes
RépondreSupprimerpardon j'en étais restée à tes souvenirs et je vois que tu sais un peu pour les autres. Moi je suis toute contente de la mention très bien de ma nièce
RépondreSupprimerC'est chouette les souvenirs Brige, et c'est gentil de les partager. Merci.
RépondreSupprimerC'est aussi super pour ta niece. j'aurais bien aimé le T devant le B, mais bon, deux mois aprés on oublie le bac, puisqu'on passe à autre chose. Le début de ma Sup m'a vite fait oublier le bac, trés vite. Trop vite, sans doute
Intéressante ta vision des choses a posteriori, sans doute aussi parce que je la partage étroitement... Dans l'ensemble, je garde une impression identique de regrets diffus et parfois, en fonction des jours, assez mal maitrisée. La seule différence notable peut être, serait que je garde un souvenir un plus ému que le tien de ma Terminale, qui aura été, je crois, mon meilleur souvenir de toute ma scolarité, l'année où j'ai commencé à cesser d'être un vilain petit canard.
RépondreSupprimerTu voulais faire sciences po? Je voulais faire du journalisme, ou des langues. Tout comme toi, j'ai pourtant fait un bac scientifique (C, puisque je l'ai passé en 94, obtenu également avec une mention bien, à 15.80 de moyenne), et tout comme toi, j'ai fait sciences de l'ingénieur (ISIM - montpellier). Tu as raison de dire que d'un autre côté, on n'aurait sans doute pas fait les rencontres qui nous accompagnent aujourd'hui, on ne serait sans doute pas géographiquement où nous le sommes, nous ne serions tout simplement pas ce que nous sommes. Mais tout de même... Soit, on n'y peut rien changer, mais quelque part, ça fait toujours un peu rêver de tenter d'imaginer ce que nous aurions pu être.
Pour en revenir au bac, je crois cependant que cela reste une étape cruciale dans la vie de chacun. Il est plus ou moins important, on l'obtient avec plus ou moins de succès, mais subsisteront toujours ce passage obligé devant les panneaux d'affichage, les cris de joie des uns, les larmes des autres, la sensation de tourner une page de sa vie, et de poser un premier orteil sur le seuil de ce qui sera notre vie d'adulte.
Trés heureux et ému par ton commentaire, merci de ton passage (sincérement).
RépondreSupprimerA l'cole, je n'ai malheureusement jamais été un vilain petit canard. Pour pas faire de peine à papa-maman... Peut être aurais je du etre un peu moins lisse, un de mes regrets.
Pour science po, c'était en fait pour deux reves d'enfants. le journalisme et l'écriture en était un : jusqu'à la troisieme, journaliste était mon reve. Avant que mes parents et des profs m'encouragent à ne pas perseverer dans cette voie. La politique était le deuxieme reve, mais l'écriture était au delà de tout ça.
Peut être est ce pour ça que j'éprouve une fascination, qui à certaines époques est allée plus - trop ? - loin, voire un complexe, vis à vis des littéraires et des filles et garçons "de lettre". Mais non, je suis un scientifique industriel qui déteste la technique.
Allez, je retourne à ma formation sur un logiciel de démantellemetn bien compliqué... (soupir)