C'est un article du Canard Enchainé, tendrement titré "le martyre de Carolis", qui m'a donné l'idée de ce billet. Petit frère du Management par la peur qui m'a donné l'honneur de l'excellent blog "Equilibre précaire", qui parvient toujours à me toucher.
Retour sur ma vie professionnelle, qui commence à être riche mine de rien, j'ai 30 ans déjà... Aout 2001. Je finis un CDD post - école d'ingénieur, pret à rentrer dans la "vraie vie". Un chargé d'affaire d'une société de Pierrelatte, filiale d'un grand groupe marseillais, me propose un obscur CDD d'ingénieur à Grenobles. Bureau d'études, dessin industriel, tout ce que je déteste, en plus d'une précarité, loin de chez moi... Poliment, je décline.
Le jour même, Marseille, le siège, m'appelle. Le Directeur Technique de ce groupe me propose un poste de rève pour le jeune ingénieur que je suis. Outre le fait que je vois les Calanques depuis mon bureau à deux pas de la mer, dans la ville de mon club de foot, le boulot est passionnant. Un siège national, un grand groupe, des perspectives de carrière géniale. Là, je dis oui. Emballé c'est pesé, je signe le jour d'un départ dans les Landes en camping, je commence le 1er Octobre 2001 (deux tours jumelles de moins), pas encore blessé du 12 Juillet 2002, et passant ma première nuit aux Bons Enfants, merci encore de ta fidélité.
Une première année professionnelle de rève. C'est dur, mais c'est passionant, enrichissant. Des conditions de travail superbes, un supérieur hiérarchique, mon Directeur Technique (maintenant un ami), génial. Certe un été difficile, mais c'est hors professionnel, et bon, passons, car l'automne qui arrivera et me mettra une petite falconette dans les pattes et dans le coeur efface toutes les douleurs estivales du scorpion. C'est chouette.
Et puis Février 2003, réorganisation. La Direction technique explose. Pierrelatte, la petite filiale, devient entreprise, et je suis "muté" administrativement là bas. Le chargé d'affaire que j'ai éconduit devient Directeur Général de cette société naissante. Et mes soutiens se font tous virer un à un. Changement de visage lorsque je suis physiquement muté, de force, à Pierrelatte en Janvier 2004. Je garde en mémoire la phrase qu'il m'a dit, dans ce sombre bureau, pour m'imposer mon rappatriement : "finalement, on travaillera ensemble...". Une phrase prononcée avec un sourire dont le souvenir continue à me glacer le sang : il me le ferait payer, ce crime de lèse - majesté : on ne met pas de rateaux à certaines personnes, sinon on le regrette... Et d'adjoint à Directeur Technique et Directeur Commercial, je deviens ingénieur lambda. Fini pour moi.
Ensuite ? "On" me le répète souvent : "le Directeur Général t'en veut, tu lui as dit non une fois, il ne l'a pas accepté", ou "tu travailles bien, mais Il t'en veut, tu sais...". Début de carrière avec avancement rapide, et depuis ça stagne. Je travaille plus, pour montrer que je suis quelque chose de bien, mais je gagne moins. Je suis bloqué, à cause d'un homme. Bien sur, certains jeunes voient que je deviens une proie facile, alors je rencontre des enculés. J'en garde un en tête. A qui j'en voudrais longtemps...
(Interlude sur le mauvais coté du Faucon : Je n'ai que trois personnes pour qui je ressens de la haine. Une que je ne connais personnellement pas, seulement des contacts par ICQ ou IRC. Vers qui je bascule cette haine qui me dévore, parce que je ne peux pas hair une personne que j'ai aimé avant, et que j'apprécie toujours malgré pleins de choses... La deuxieme est un jeune ingénieur que j'ai aidé, et qui m'a poignardé, pour arriver plus haut... Il le paiera celui là. Le troisieme est, fatalement, ce Directeur Général.)
Je n'étais rien, un simple ingénieur, pas une menace pour lui. Mais je lui ai dit "non" une fois. Cela ne méritait même pas un "pardon", car je n'ai trahis, ni insulté personne. Mais sa fierté ne m'a rien pardonné. Je me suis battu deux ans. Et décembre 2006, je suis parti.
Revenons au billet du Canard Enchainé du 16 Janvier 2008. Carolis est un chiraquien, mis en place par Chirac. Le billet est affligeant, de voir que la rancune, ce péché, est décidément un carburant de nos "puissants", Directeur Général ou Président de la République. "Comment le grand patron de France Télévision a t'il appris que l'Etat lui supprimerait la pub ? Tout simplement en regardant la télévision... Mairdi 8 Janvier, Carolis est planté devant son petit écran dans son bureau quand tombe l'annonce de Sarkozy. Il encaisse l'uppercut et lache groggy à ses proches "et ben ça promet pour la suite". (...) UN brin sadique, l'Elysée avait convié le chiraquien Carolis à la conférence de presse présidentielle. Une chance qu'il ait décliné l'invitation : il aurait essuyé le coup de bambou en direct, avec gros plan des caméras sur sa mine déconfite et forêt de micros à sa sortie"
A ce moment là de la lecture du Canard, je dodelinais la tête de gauche à droite, soupirant devant ce machiavélisme des "grands de ce monde" pour faire simplement "mal". Juste "mal", à ceux qui n'ont pas été de leur bord à un moment. Plus loin, l'article continue de parler des "mandales sur mandales" que Sarkozy balance à celui qui "n'est pas victime d'une destabilisation personnelle", mais visiblement la rancune a bonne contenance.
Je soupire souvent, en ce moment, devant ma petitesse et ma naiveté. Je pense que les compétences et la fidélité (en nos valeurs personnelles, en les personnes qui ont été importante pour nous...) sont des mamelles d'une réussite personnelle. Et je vois, en contemplant les exemples Sarkozy et Chirac, pour ne citer qu'eux, qu'en fait il faut trahir, et il faut aller au bout de ses haines, pour y arriver. Il faut "écraser l'autre", ne plus le laisser respirer, l'anéantir. Et à la personne qui nous a nourri, point de gratitude, simplement la politique du Brutus. Racune et trahison, parce que seul ça peut permettre de franchir des marches, des palliers.
Politique, professionnel, la rancune est un carburant. La peur aussi. La racune surtout.
Je n'ai pas aimé ce billet du Canard. Pourtant, il m'évoque des expériences passées, il me rappelle des souvenirs douloureux. Avec, pourtant, une certitude, même naive : la fidélité, la gratitude, et le travail au final, peuvent permettre de réussir. La racune ? J'ai tendance à imaginer que les quelques haines que j'ai sont plus un frein qu'autre chose... Passer outre, avancer. Et merde.
J'ai envie de penser qu'on peut réussir sans être un enculé et sans forcément avoir besoin de tuer "l'autre". Jusqu'à quand garderai je cet état d'esprit ?