Je lui dois beaucoup. Des proches lui doivent beaucoup aussi, et je sais qu'ils se sont déplacés pour lui. Ce n'a pas été suffisant.
« Cher Julien Aubert,
Dimanche, les électeurs de la cinquième circonscription de Vaucluse (C’est vous qui m’avez appris qu’il fallait dire de Vaucluse et non du Vaucluse) vous ont signifié votre congé, dix ans après vous avoir fait confiance pour la première fois. Un chroniqueur politique a des amitiés, et il dispose d’une liberté dont ne peut user un journaliste stricto sensu : il peut les assumer publiquement. Je n’ai pas à en rougir d’ailleurs. Tout cela remonte à ce que toute la presse française ou presque avait dénoncé comme une insolence de votre part. Vous aviez osé respecter les préceptes de l’Académie française en vous adressant à Madame le président. Dame Mazetier, qui présidait ce jour-là la séance dans l’hémicycle, vous avait alors réprimandé comme un élève de sixième.
Pour vous sanctionner, les services de la présidence de l’Assemblée nationale étaient alors allés chercher un article du règlement qui ne concernait pourtant pas l’expression des parlementaires mais les rédacteurs du compte rendu de séance. Dans les colonnes de Causeur et du Figaro, j’avais alors dénoncé le déni de justice, et Natacha Polony l’avait relayé dans sa revue de presse sur Europe 1. Voilà comment est née cette amitié. À l’époque, vous pensiez même saisir la CEDH [Cour européenne des droits de l'homme], dans un recours qui aurait bien pu aboutir puisque cette Cour censure toujours les sanctions non susceptibles d’appel, ce qui est le cas à l’Assemblée nationale. Je vous avais fait remarquer que faire condamner le Parlement de votre pays par un tribunal supranational aurait pu brouiller votre image souverainiste. Vous m’avez entendu. C’est bien.
Nous nous sommes toujours vouvoyés. Il me semble que c’est à votre initiative et que cela doit être en raison de mon aînesse. Contrairement à ce que pensent Dame Mazetier et ses perroquets, vous êtes finalement un garçon bien élevé. Certes, vous ne résistez pas toujours à un bon mot, qui pourrait vous créer quelques rancunes. Je serais mal placé pour vous faire la leçon sur le sujet. Cher Julien Aubert, vous pouvez vous enorgueillir d’un exploit. Vous êtes le seul à m’avoir presque convaincu de replonger dans le bain politique, de laisser mes chroniques pour m’y remettre vraiment. En 2019, j’avais d’ailleurs mis ces collaborations éditoriales entre parenthèses pour vous conseiller alors que vous étiez candidat à la présidence de LR.
INJUSTICE
Et si vous aviez été élu, j’aurais pu accepter de reprendre ma carte et me mettre à votre service, et surtout celui de nos idées communes. Je venais d’envoyer mon solde de tout compte en librairie avec Leurs guerres perdues, ce roman des désillusions souverainistes que vous avez avalé tout cru dans un TGV Paris-Avignon. Mais plutôt que vous, qui proposiez de renverser la table et recréer ce RPR patriote et social cher à Philippe Séguin et Charles Pasqua, les adhérents de LR ont préféré le bon docteur Jacob et sa piqûre de morphine. Renverser la table est toujours risqué et nous en étions conscients. Peut-être même que la mort serait aussi au rendez-vous, en étant de surcroît moins douce. Pour autant, elle aurait été moins grotesque.
Ce parti, depuis des années, allait dans le mur. Vous avez tenté de corriger la trajectoire, et dimanche, c’est vous qui avez pris ledit mur. Injustice. Vous et moi regarderons les résultats la semaine prochaine, et observerons que parmi les plus hostiles à votre entreprise de 2019, il en est qui seront élus sous la bannière du président de la République. Ceux-là mêmes qui vous reprochaient d’avoir mené la bataille contre la privatisation des aéroports de Paris, et allaient même jusqu’à trouver dans ce combat une des raisons du faible score de la liste LR aux élections européennes. Je me souviens que vous avez été l’un des premiers, c’était un dimanche après-midi, à signer la première pétition initiée par mes amis Coralie Delaume et David Cayla. Ensuite est venu le temps de la procédure parlementaire pour enclencher un référendum, où vous avez été à la manœuvre. Vous afficher avec François Ruffin ne vous faisait pas honte, comme Séguin n’avait pas honte de s’afficher avec Jean-Pierre Chevènement ou Georges Hage.
Séguin, justement. En 1988, il avait failli perdre sa circonscription d’Épinal, à quelques voix près. Quel destin aurait-il eu s’il avait disparu de l’Assemblée nationale ? Peut-être qu’il aurait quitté définitivement la scène politique. Ou peut-être bien qu’il aurait trouvé là les ressources pour trouver une destinée plus grande encore. C’est tout le mal que je vous souhaite. Finalement, faut-il regretter de ne pas revenir dans une maison qui s’apprête à accueillir Aymeric Caron et Sandrine Rousseau ? Vous avez créé un petit mouvement « Oser la France », qui auditionne, réfléchit et publie. Cette aventure ne doit pas cesser à cause des vicissitudes des élections législatives post-quinquennat. La voix de Julien Aubert doit encore être entendue car elle le vaut bien.
Un dernier mot encore. En septembre dernier, devant un parterre de candidats à l’investiture LR, du côté de Lourmarin, vous avez rendu hommage à mon amie l’intellectuelle souverainiste Coralie Delaume, bien connue des lecteurs de Marianne, décédée quelques mois plus tôt. J’avais alors imaginé la franche rigolade qui avait dû animer Coralie depuis son nuage, à voir un député courageux et malicieux, rappeler son souvenir devant le commissaire européen Michel Barnier. Pour tout ça, cher Julien, merci, et surtout : à bientôt ! »